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L’alimentation OGM en Tunisie : « Un poison subliminal »

Nour El Houda Chaabane ›
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Contrôlez le pétrole et vous contrôlerez les nations, contrôlez la nourriture et vous contrôlez la population.Henry Kissinger (1970).

La Tunisie a signé le « Protocole de Carthagène » sur la prévention des risques des biotechnologies modernes, notamment la transgénèse, qui connaît un essor rapide sur l’économie et une dissémination irrépressible sur l’environnement depuis le 19 avril 2001 et l’a ratifié, le 14 juin 2002.

Le « Protocole de Carthagène », est désormais un pas important, étant donné qu’il institue un cadre réglementaire et une assise juridique internationaux en la matière, visant à réduire le potentiel des effets secondaires des biotechnologies sur la biodiversité et son utilisation durable.

Néanmoins, et jusqu’à l’heure actuelle, nous n’avons pas de code juridique et institutionnel national qui instaure et structure ce secteur. D’ailleurs, ce qui frappe par rapport au faible débat sur le génie génétique, c’est l’ambiguïté et l’opacité sur l’information accessible à tous. Aujourd’hui, on ne sait même pas si ces produits sont « omniprésents dans nos assiettes » , s’ils sont arrivés sur nos marchés de produits contenant ou issus des organismes génétiquement modifiés (OGM), et s’ils ont déjà envahi nos champs.

OGM : une prouesse biotechnologique

Un OGM -organisme génétiquement modifié- est défini d’après le Dr Khaled Zarrouk, médecin vétérinaire et nutritionniste, comme étant un organisme vivant qui peut être un micro-organisme végétal, animal ou microbien qui a subi une modification non naturelle de ses caractéristiques génétiques initiales par ajout, suppression ou remplacement d’au moins un gène. Toute opération conduisant à l’obtention d’un OGM est appelée transgénèse.

Au départ, la promotion des OGM dans le monde avait pour objectif de lutter contre la malnutrition ; les OGM ont souvent été présentés comme une solution pour nourrir les pays pauvres. Pourtant, ils sont chers et stériles. D’après la revue « Écologie & Politique, n° 38 du mois de Juin 2009 », on estime que les OGM « permettraient ainsi de sauver l’humanité d’une famine prédite par les mêmes cassandres comme inéluctable, avec neuf milliards d’humains à l’horizon 2050 ». Par la suite, on a argué sur leur vertu pour réduire les atteintes à l’environnement et accroître les rendements, étant donné que les agricultures utiliseraient moins d’insecticides et de pesticides, et pollueraient donc moins les terres.

Sous l’égide de leur « exploit » Bio Tech, les industriels des semences transgéniques tentent de les introduire partout dans le monde. Ils ne présentent que les supposés avantages et cachent les éventuels dangers, la perspective factuelle de ces lobbies agronomes étant de contrôler l’agriculture mondiale et de détenir le monopole des semences.

Parmi ces grandes entreprises multinationales on cite : Cargill, Bung, Du Pont, Sygenta, Bayer et surtout « Monsanto, qui détient 90% du monopole sur les semences transgéniques cultivées dans le monde ». Monsanto a inventé la technologie « Terminator », qui modifie génétiquement les plantes pour produire des graines stériles à la récolte, empêchant les agriculteurs de réutiliser les semences pour les forcer à en acheter de nouvelles à chaque saison de culture. Ce géant n’hésite pas à traîner en justice tout agriculteur soupçonné de les utiliser “illégalement”.

La journaliste d’investigation, réalisatrice et écrivaine  française Marie-Monique Robin a réalisé un documentaire-livre, largement répandu dans le monde, dévoilant tous les dépassements du « géant Monsanto ».

En dépit de l’opposition de nombreux Etats, l’essor de l’agriculture productiviste et de l’agrobusiness sont en progression continue. Néanmoins, ce système montre de nombreux signes d’échec : d’une part, l’incapacité à fournir une alimentation saine et sans risque à « toute l’humanité », et d’autre part, la transgénèse est une technique coûteuse, tellement prohibitive et sans effet sur l’amélioration de l’équilibre avec la nature.

Au fil de l’actualité, en Décembre 2014, la Hongrie a pris une position stricte contre les cultures transgénique par la destruction d’une superficie de 400 hectares des champs de maïs OGM de Monsanto.

OGM : Une menace pour l’humanité

Au niveau d’un éventuel danger, les scientifiques pro-OGM ont longtemps démontré que les OGM ne représentaient aucun risque pour la santé humaine. Et cela parce qu’il n’y a tout simplement aucune étude sérieuse qui a été jamais menée.

En revanche, les militants anti-OGM ont fait part de sérieuses inquiétudes quant aux risques potentiels qu’ils peuvent présenter pour la santé: la toxicité et les allergies liées à la présence du gène inséré, le développement de résistance aux antibiotiques, la diminution de la valeur nutritive de certains aliments, la stérilité et encore autant de risques imprévisibles associés à la consommation d’aliments avec OGM.

L’étude qui a été publiée dans la revue Food and Chemical Toxicology en 2012 par Gilles-Eric Séralini, Professeur à l’Université de Caen et pilote de l’étude, a bouleversé toutes les notions et a dévoilé clairement l’arnaque de ces lobbies. Habituellement, les études de toxicité avancées par les industriels se font sur une période de trois mois, par contre la durée de l’étude de Séralini est de 24 mois.

Les rats nourris pendant deux ans avec un maïs OGM « meurent plus jeunes et développent davantage des cancers ; ils sont atteints notamment par des tumeurs mammaires et pathologies lourdes » ; voire une hécatombe.

De surcroit en 2012, la presse russe a publié une étude avec des résultats frappants démontrant que « les OGM stériliseront l’humanité au bout de 3 générations ».

D’un point de vue environnemental, les gènes des OGM se disséminent et contaminent les environs sur un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres. Une fois les transgènes sont dans la nature, on ne peut plus les arrêter. C’est imprévisible, irréversible et incontrôlable.

À la lumière des connaissances actuelles en génétique qui présentent une bombe pour l’industrie OGM, on constate donc visiblement qu’on a manqué de recul sur la question.

La problématique OGM dans le contexte général de la souveraineté alimentaire

Dr Khaled Zarrouk songe qu’on doit évoquer la problématique OGM, étant donné qu’elle s’inscrit, non pas dans le contexte restreint de la sécurité alimentaire, mais plutôt dans le contexte, plus large, de la souveraineté alimentaire. Il présume également que :

aujourd’hui, il faut plutôt parler de souveraineté alimentaire, parce que ce qui est souverain, est forcément sécurisé .

Garantir la sécurité alimentaire, c’est en effet éliminer toutes les situations de malnutrition ou de sous-nutrition comme la famine. Elle désigne, d’après le professeur nutritionniste « la résolution des problèmes liés à la quantité suffisante des aliments et à l’accès à la nourriture ». La souveraineté alimentaire garantit plutôt la qualité de la nutrition et la stabilité des systèmes de production, tout en préservant le monopole des Etats et leur indépendance totale des agro-industriels et des pays tiers.

En Tunisie, nous craignons l’invasion des OGM dans nos assiettes, dans nos marchés et même dans nos champs. Qui peut nous désavouer le libre-échange transgénique et ainsi à l’arrivée des OGM dans nos contrées ? Qui peut nous garantir notre souveraineté alimentaire ?

OGM et opacité autour des informations

Dr Khaled Zarrouk dénonce : « Les informations concernant les OGM semblent être enfermées dans l’enclos du non-dit ».

« Actuellement, aucune information n’est disponible », nous a confirmé Hazar Belli, Ingénieur Principal au sein du Ministère de l’Equipement et de l’Environnement.

Autant d’aliments importés, proviennent des pays producteurs et exportateurs des OGM. Ces produits peuvent être fabriqués avec du maïs, du soja  ou de l’huile de palme génétiquement modifiés, ou encore des produits dérivés d’animaux nourris aux OGM.

Le professeur nutritionniste Khaled Zarrouk a mentionné que « les OGM et les produits alimentaires dérivés d’OGM mis sur le marché, doivent naturellement être soumis à des conditions d’étiquetage et de traçabilité », et qu’ « aujourd’hui on ne peut confirmer notre souveraineté alimentaire de base composée des céréales et des olives ».

Nous avons justement, évoqué la question d’étiquetage et de traçabilité avec Hazar Belli qui assure que :

faute de moyens, nous n’avons aucune mesure de contrôle sur la présence des OGM sur le marché.

Cependant, le développement de cette biotechnologie nouvelle et la propagation des organismes génétiquement modifiés, imposent une stratégie nationale basée sur une prise de conscience collective de l’importance des ressources génétiques locales, du principe de précaution et du respect d’un code de conduite pour minimiser les risques sur la santé humaine et l’environnement.

En effet, et d’après le rapport publié par L’Agence Nationale de Contrôle Sanitaire et Environnemental des Produits (ANCSEP) en 2007, « nos importations de maïs et de tourteau de soja sont majoritairement (70-100%) en provenance de pays producteurs d’OGM ». Cette étude exploratoire a révélé la présence d’OGM dans les produits importés, destinés à l’alimentation animale.

Cette étude prouve aussi que la question des OGM est complètement ignorée depuis 2007 malgré le fait que l’on soit certains que notre chaine alimentaire et nos marchés sont colonisés par les produits OGM.

En riposte à ce propos, Meher Medini, chercheur en biologie moléculaire au sein de la Banque des Gènes de Tunis, nous a affirmé de même qu’ils ont repéré des OGM dans plusieurs aliments importés. Cependant, aucune intervention réglementaire ne peut être faite vue l’absence du cadre juridique. D’ailleurs, il nous a mis l’accent sur les « semences hybrides »*. La souveraineté alimentaire n’est pas relative seulement aux OGM, mais aussi aux semences hybrides qui sont stériles et importées. Nous sommes, par conséquent, dépendants des semences non originaires de notre pays.

Jusqu’à ce jour, aucune mesure concrète de prévention des risques de dissémination des OGM ne semble être prise.

D’après Hazar Belli, et sous le chapeau du « Protocole de Carthagène », qui présente donc une supposée assise juridique reconnue à l’échelle internationale, le ministère vise avancer un projet de loi qui organise le secteur biotechnologique, notamment les OGM, les agents pathogènes et la biosécurité.

Depuis ce protocole, nous avons fait l’extrait d’un projet qui est sous forme de don de 1.4 milliard, qui est actuellement dans sa phase finale qui consiste à l’élaboration d’un document de loi sur la biosécurité en Tunisie : Ce projet de loi ne s’intéresse pas seulement aux OGM, mais il englobe plutôt les OGM, les agents pathogènes et les espèces exotiques envahissantes, affirme Hazar Belli.

Dans ce cadre, nous avons équipé quatre laboratoires : le laboratoire central d’analyse, le centre technique agro-alimentaire, le laboratoire de semences au sein du Ministère de l’Agriculture et le laboratoire au sein de la Banque Nationale des Gènes. Pour être à la pointe, les laboratoires ont été équipés et renforcés pour pouvoir assurer la détection et la quantification des OGM, et les locaux sont organisés pour répondre aux normes internationales en vigueur. Le développement des capacités humaines -qui sont actuellement absentes- et la formation du personnel, sont en cours.

Sur le volet des OGM, nous avons procédé par la mise en place de commissions nationales de biosécurité et bio sûreté qui traitent de l’aspect scientifique, communicationnel et réglementaire.

Pour lors, le « Protocole de Carthagène », présente le seul socle juridique sur lequel nous pouvons bâtir des normes nationales, fondées sur le principe de précaution dans ce domaine.

Il met également en place des mesures de traçabilité, de sécurité et de gestion commune des risques, permettant de se protéger de l’incertitude scientifique entourant ces nouveaux organismes.

À l’instar d’autres pays, l’Union Européenne a exigé l’étiquetage. La Tunisie, dans ce projet de loi qui est en cours, et tout comme la réglementation européenne l’impose, procède à l’étiquetage des aliments qui contiennent plus de 0,9% d’OGM.

Hazar Belli a signalé que la mise en œuvre de cette stratégie, repose sur un plan d’action bien élaboré et implique tous les départements ministériels concernés,  les acteurs de la société et tous les choix opérationnels possibles. « Nous avons également exigé des normes strictes plaçant la barre très haut ».

Cadre réglementaire et juridique

En Tunisie, par manque de ressources, l’évaluation de l’état des biotechnologies laisse ressortir que les recherches en biotechnologie ayant lien avec les OGM ne se sont pas développées au moment propice dans les laboratoires et unités de recherche dans les domaines de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de l’agroalimentaire.

Un développement lent, qui s’avère trop en retard par rapport aux progrès et aux sophistications mondiales de la Bio Tech.

Le dispositif de contrôle, d’évaluation et de gestion des risques des OGM, laissent apparaître un vide juridique, étant donné que « la loi sur la biosécurité n’est toujours pas entrée en force pour permettre l’élaboration des textes réglementaires indispensables pour la gestion du dossier des OGM en Tunisie ».

Nous n’avons pas procédé plus tôt dans ce secteur, parce que nous n’avons pas le personnel qualifié et les laboratoires pour le contrôle des OGM ! On ne peut pas mettre une loi qui n’est pas applicable. C’est tout un chantier qu’il faut franchir, le garde-fou pour moi étant la législation, allègue Hazar Belli.

Sur ce point, la Tunisie doit s’employer à élaborer un texte spécifique aux OGM, à prendre les mesures juridiques, administratives et autres, nécessaires et appropriées pour s’acquitter de ses obligations au titre du « Protocole de Carthagène » d’une part, mais surtout pour protéger la santé du consommateur tunisien, qui n’est même pas au courant du poison qu’il consomme quotidiennement.

Un plan d’action national de biosécurité efficace et harmonieux s’impose alors d’urgence. La mise en place des piliers stratégiques doit faire cohabiter quatre logiques plus ou moins concurrentes et conflictuelles : celles de la science, de la politique, des médias et du public.

Les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) sont présents en Tunisie par le biais de l’importation de produits alimentaires. Le principe de précaution, dans ce domaine, semble être illusoire, même si les incertitudes scientifiques qui demeurent, devraient au contraire, le mettre au cœur du processus d’évaluation.

Et d’ailleurs, cette absence de précaution et ce manque de transparence, font que ce sont les consommateurs qui sont au bout de cette chaîne alimentaire. Alors finalement dans l’histoire, qui sont les vraies cobayes?
L’affaire est donc à suivre.

Hazar Belli insiste sur la parution pour sensibiliser les décideurs et pour que le consommateur soit à l’abri de tout ce qui est flux OGM. Les impacts éventuels des OGM doivent être donc l’affaire des intervenants scientifiques, des décideurs, et des consommateurs qui se doivent de coordonner leurs efforts pour minimiser et maîtriser ces effets. Aujourd’hui, l’agriculture et l’alimentation doivent redevenir l’affaire de tous.

Avec la souveraineté alimentaire, nous souhaitons déterminer les politiques qui orientent un domaine crucial à la vie de chacun d’entre nous : l’alimentation.

Nour El Houda Chaabane

Nour El Houda Chaabane
Nour El Houda Chaabane, Environnementaliste, Écologiste ; spécialiste en Bio-surveillance de l’environnement : Ecologie Marine. http://nawaat.org